« Nous tendons clairement vers un panafricanisme des peuples » (Robert Dussey, Togo)

En 2024, le Togo accueillera le 9e Congrès panafricain à Lomé. À l’heure où le racisme en Tunisie et les vagues de violences xénophobes dans la nation arc-en-ciel fragilisent l’unité continentale : où en est le panafricanisme au 21e siècle ? Entretien avec Robert Dussey, le ministre togolais des Affaires étrangères.

Le 9e Congrès panafricain aura pour thème : « Renouveau du panafricanisme et rôle de l’Afrique dans la réforme des institutions multilatérales : mobiliser les ressources et se réinventer pour agir ». De quelles ressources s’agit-il et pour quels objectifs ?

Robert Dussey : Les ressources humaines et civilisationnelles de l’Afrique sont immenses. Cheikh Anta Diop disait que nos ancêtres étaient les « plus anciens guides de l’humanité dans la voie de la civilisation » (…) Il s’agit de reprendre conscience de notre grandeur historique, de nos forces et de nos ressources civilisationnelles, de nos réseaux et capitaux humains, de nos traditions culturelles, de nos connaissances et de nos ressources techniques et organisationnelles pour agir efficacement. La question du financement figure parmi les défis majeurs de notre continent (…) Le sort qui est réservé à l’Afrique sur la scène internationale et dans la gouvernance mondiale est inacceptable (…) L’enjeu, c’est de se regrouper autour d’intérêts communs pour définir des modes et des plans d’action concertés.

Quels seront les temps forts de cet évènement ?

Il y aura, entre autres, une session dédiée à la consolidation des résultats des rencontres organisées dans différents pays, mais aussi des séminaires regroupant des Africains vivant sur le continent, les diasporas africaines et les Afro-descendants. La session des politiques qui servira de cadre de validation aux conclusions, les recommandations et les projets phares définis et l’adoption de la « Déclaration de Lomé » sur les enjeux et les défis du panafricanisme, sont quelques-uns des temps forts attendus. Nous accueillerons des intellectuels et des personnes ressources, des experts africains veinant du monde entier, des représentants d’organisations diasporiques et de gouvernements des 54 pays africains.

Le panafricanisme repose sur une vision sociale, économique, culturelle et politique d’émancipation des Africains. C’est aussi un mouvement qui vise à unifier les Africains du continent, les diasporas et les communautés Afro-descendantes, en une communauté africaine mondiale. Quelle sera la place accordée aux diasporas et aux Afro-descendants ?

Les contributions des Afro-descendants sont de formes multiples et portent principalement sur les ressources humaines, les transferts de fonds, les relations professionnelles et les réseaux d’affaires, mais aussi sur les investissements. Rappelons que 100 milliards de dollars sont transférés chaque année vers le continent par la diaspora, selon la Banque Mondiale. Compte tenu de l’importance croissante de l’engagement de la diaspora et des Afro-descendants au service du développement de l’Afrique, le Congrès panafricain de Lomé représente un cadre privilégié pour réfléchir sur le positionnement de la diaspora et des Afro-descendants comme partenaires stratégiques de l’Afrique. Ils participeront activement aux travaux de cette édition (…)

L’implication plus forte des diasporas africaines dans le processus du développement continental sera certainement abordée. Le défi du renforcement de l’engagement des Africains vivant hors d’Afrique et des communautés d’ascendance africaine au service du continent est au cœur de l’actualité du panafricanisme.

Le panafricanisme renaît à l’étranger, à travers des mouvements comme Black Lives Matter aux États-Unis. Quels sont les mouvements panafricains sur le continent ? N’y a-t-il plus de combat à mener depuis l’Afrique, par exemple, une meilleure représentativité de l’Afrique au sein des instances internationales ?

Le mouvement panafricain est porté aussi bien par des acteurs des diasporas africaines et d’ascendance africaine que par des Africains du continent. Il peut y avoir des moments de refroidissement, mais il y a une reprise de conscience de l’importance de l’identité africaine sur le continent. Les voix panafricanistes s’affirment de plus en plus pour mettre en exergue la détermination du continent à jouer sa partition pour accélérer la réforme des institutions multilatérales de coopération. Des personnalités nouvelles émergent et s’affirment.

Le concept d’Africanophonie que j’ai mis en avant lors de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations est l’expression d’un certain renouveau du panafricanisme valorisant nos langues africaines. L’Alliance Politique Africaine lancée par le Président Faure Essozimna Gnassingbe est aussi l’expression d’un engagement en faveur du panafricanisme. Lors de la conférence ministérielle, les ministres ont clairement affirmé que, dans le contexte actuel où l’Afrique peine à faire entendre sa voix sur la scène mondiale, la renaissance africaine n’est possible que dans le cadre d’un panafricanisme renouvelé.

Où sont les Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Cheikh Anta Diop, Kwame Nkrumah ?

Les Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Cheikh Anta Diop et Kwame Nkrumah d’aujourd’hui sont tous ces jeunes, hommes et femmes, toutes les personnes vivant en Afrique et dans les diasporas qui sont profondément attachées à l’idéal panafricain. Il faut d’ailleurs se réjouir de cette forme diffuse et populaire du panafricanisme, car quand les masses s’emparent d’une cause, celle-ci a souvent une chance de triompher. Nous tendons clairement vers un panafricanisme des peuples.

Désormais, le panafricanisme est régulièrement associé aux personnalités clivantes comme Kémi Séba (Franco-béninois) ou Julius Malema (Sud-africain). Ce qui autrefois devait unir les Africains dans leur lutte pour l’indépendance, semble se réduire à un élément de défiance face à l’Occident. Sur quelle base reconstruire un panafricanisme fédérateur ?

Il y a plusieurs ramifications du panafricanisme, mais l’enjeu essentiel, au-delà de l’expression plurielle du mouvement, demeure le même : être soi-même, défendre dans un élan d’unité nos intérêts et être libres de toute tutelle étrangère (…) Le panafricanisme repose d’abord sur notre capacité à nous retrouver autour de valeurs communes dans la recherche de solutions aux problèmes et aux défis actuels du continent et des Africains dans le monde. Il s’agit avant tout d’une question d’affirmation de soi, en veillant à trouver des solutions africaines aux problèmes africains.

Dans quelle mesure le panafricanisme peut-il devenir un levier de croissance économique ou de développement inclusif en Afrique ?

Le congrès panafricain de Lomé s’inscrit dans le cadre de l’Agenda 2021-2031 de la « Décennie des racines africaines et de la diaspora africaine » qui reste un outil institutionnel et panafricain pour valoriser et mobiliser les contributions et les talents des diasporas et des Afro-descendants au service du développement continental. Le Congrès de Lomé traitera des moyens pour renforcer les contributions des diasporas, des communautés d’origines et d’ascendances africaines, au service du développement économique et social de l’Afrique.

Quel rôle joue l’Union africaine (UA) en matière de panafricanisme ?

L’Union africaine à travers l’Agenda 2063 est porteuse d’idéaux de solidarité et d’unité du continent, qui sont des valeurs à la base du panafricanisme. Depuis 2006, l’Union africaine a fait de la diaspora africaine, la 6e région du continent. Elle a aussi travaillé sur le volet politique du panafricanisme, même si elle se trouve contrariée dans ses ambitions politiques, par les velléités souverainistes des États.

Entre la vague de racisme récemment observée en Tunisie, les violences xénophobes régulières qui traversent l’Afrique du Sud (alors que l’ANC a inscrit le panafricanisme dans ses fondements), ou encore l’esclavage révélé en 2017 par CNN en Libye : le panafricanisme est-il un idéal lointain ? Quel rôle joue le panafricanisme sur ces sujets d’actualité ?

Fondamentalement, aucun homme n’a plus de dignité que l’autre. « Le racisme est une plaie de l’humanité », disait Frantz Fanon. Ces évènements malheureux révèlent l’importance de rappeler les valeurs et les fondements de l’identité commune africaine (…) Le panafricanisme, de sa fondation jusqu’à aujourd’hui, est une arme solide de combat contre le racisme et il peut jouer un grand rôle dans la délégitimation des comportements et des dérives racistes.

Qu’attendez-vous concrètement de ce type d’événement ?

Comme tout événement de cette dimension, le Congrès panafricain de Lomé se veut d’abord le creuset de la régénérescence des valeurs et des idéaux panafricains. L’ambition de ce congrès est de formuler, sous plusieurs formes, des orientations en faveur de la réforme des institutions multilatérales ainsi qu’une meilleure représentation de l’Afrique sur la scène internationale.

Que recouvre l’Association politique africaine (APA) née le 3 mai dernier, qui réunit 7 ministres des affaires étrangères ?

L’Alliance politique africaine (APA) est un cadre de concertation, de dialogue politique et d’actions communes, fondé sur les liens historiques de fraternité et les principes d’égalité souveraine des Etats, d’indépendance, d’interdépendance et d’unité d’action.

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