Face au projet d’arrêt du financement des énergies fossiles en Afrique par une vingtaine d’institutions et gouvernements occidentaux, des ministres et leaders africains réclament la prise en compte des besoins de développement de l’Afrique dans cette course mondiale vers la décarbonisation…
A Abuja, lors du Nigeria International Petroleum Summit clôturé le 3 mars -rassemblant 5 000 participants venant de 45 pays dans le monde et placé sous le thème « Revitaliser l’industrie; carburants du futur et transition énergétique »– les officiels et leaders africains ont exprimé leur regret quant à l’orientation mondiale au sujet des énergies fossiles africaines.
Oui à la transition énergétique, mais …
« L’Afrique ne nie pas la nécessité de transiter vers des carburants renouvelables, vers des énergies plus propres, mais nous disons seulement à ce stade, juste au moment où nous nous mobilisons, s’il vous plaît, laissez-nous profiter un peu de nos ressources », a déclaré Timipre Sylva, ministre du pétrole du Nigéria, premier producteur de pétrole en Afrique avec plus 1,8 million de barils de pétrole produits par jour et environ 36 milliards de barils de réserves prouvées.
William Owuraku Aidoo, vice-ministre ghanéen de l’Energie a abondé dans le sens évoquant spécifiquement le cas de son pays qui est dans une démarche de création d’opérateurs pétroliers nationaux, faisant appel à sa diaspora pour explorer les ressources pétrolières sur l’étendue du territoire national. « Comme l’a dit le président du Ghana [Nana Akufo-Addo, NDLR], ceux qui étaient à Glasgow l’ont probablement entendu, le Ghana devrait vraiment avoir l’espace nécessaire pour explorer pleinement les hydrocarbures. Nous ne pouvons pas laisser nos ressources s’échouer. Nous devons les explorer et en tirer pleinement profit, mais nous avons pris des mesures. Nous ne sommes pas contre la transition énergétique », a-t-il défendu, citant les différentes initiatives et engagements de son pays en matière de production d’énergie solaire, éolienne…
Gabriel Mbaga Obiang Lima, ministre des Mines et des Hydrocarbures de la Guinée équatoriale -dont le pays est l’un des principaux producteurs de pétrole d’Afrique- estime que dans la course vers la décarbonisation de la planète, le continent devrait suivre un ordre prioritaire qui lui soit propre. « L’Afrique doit se concentrer sur la sécurité énergétique et ensuite sur la transition », a-t-il déclaré avant d’ajouter :
Le timing, le problème
Omar Farouk Ibrahim, secrétaire général de l’Organisation des pays producteurs de pétrole africains (Appo) a, quant, à lui pointé le timing de l’appel généralisé à l’abandon en Afrique du financement des énergies fossiles. « Le timing des énergies renouvelables peut pas être uniforme » pour toutes les régions du monde, a-t-il martelé. « Une fois de plus l’Appo n’est pas contre la transition énergétique […], mais le moment ne devrait pas être le même pour nos économies [africaines] et pour les économies qui l’ont fait [ont favorisé les dérèglements climatiques] et dont la vie aujourd’hui ne dépend pas de la consommation ou de l’utilisation importante d’énergie », a-t-il expliqué, ajoutant : « nous ne pouvons pas être contraints d’accepter les idéologies qui nous sont imposées, […] une idéologie qui n’est pas dans notre intérêt ».
Ces responsables réagissent ainsi à l’annonce faite à Glasgow lors de la COP26 par une vingtaine de pays et d’institutions de diminuer ou cesser le financement d’énergies fossiles en Afrique à partir de fin 2022. Parmi les signataires : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Agence française de développement (AFD)…
Eviter « une tragédie »
Pour Mohamed Barkindo, secrétaire général de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (Opep) qui intervenait en visio, le continent devrait avoir l’occasion de capitaliser sur les investissements déjà encours. « Ce serait une tragédie aux proportions inimaginables si, malgré les milliards de dollars investis dans ces ressources, celles-ci allaient vers l’ouest en tant qu’actifs bloqués », a déclaré le leader nigérian.
Le continent africain n’est en effet responsable que de 3,8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon les instances onusiennes. Parallèlement, environ 600 millions de personnes à travers l’Afrique n’ont pas accès à l’électricité, dans le dernier rapport de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique sur le sujet. 24 pays sur 54 ont même un taux d’accès inférieur à 50%, d’après la même source.
Au regard des réalités auxquels les Africains doivent encore faire face pour parvenir au développement, le patron de l’Appo a par ailleurs souligné la divergence dans les priorités de l’Afrique et celles de l’Occident qu’en matière d’énergie. « En Afrique, nos priorités sont : une énergie abordable, fiable et propre. Mais les priorités du monde développé sont : une énergie propre, fiable et abordable », a relevé Omar Farouk Ibrahim, ajoutant :
« Sans énergie, vous ne pouvez pas avancer. Sans énergie, vous ne pouvez pas être en bonne santé, vous ne pouvez pas avoir une bonne nourriture, vous ne pouvez pas avoir une bonne éducation, vous ne pouvez rien obtenir de bon… »
Depuis la COP26, les Africains ne cessent de défendre l’idée de poursuivre l’exploration et l’exploitation du pétrole et du gaz, tout en mettant l’accent sur des technologies durables. Dans un récent entretien avec LTA, Bruno Itoua, ministre des Hydrocarbures de la République du Congo et président en exercice de l’Opep défendait le mix-énergétique. « La demande ne pourra trouver satisfaction qu’avec un mix énergétique dans lequel les énergies fossiles auront encore de la place pendant longtemps », soutenait-il, tout en questionnant le raisonnement actuel au sujet de la transition énergétique. « Nous ne sommes pas responsables des changements climatiques et des émissions de gaz à effet de serre. […] Pourquoi devrions-nous être les seuls à en payer le prix ? Que les responsables payent. […] Devons-nous laisser les 600 millions d’Africains qui n’ont pas accès à l’électricité sur le bord de la route du développement pendant qu’en Europe -ceux qui sont responsables des dérèglements climatiques- ont un taux d’accès qui dépasse les 100% pour certains pays ? ».
Ces derniers mois, les cours du pétrole connaissaient déjà une tendance haussière, donnant des espoirs pour de bonnes affaires aux pays pétroliers du continent durement frappés par la crise ces dernières années. Alors que sur fond de guerre Ukraine-Russie, les cours de l’or noir flambent -le baril Brent frôlait les 124 dollars ce lundi- le spectre de l’embargo pèse sur le pétrole russe, les pays africains (aussi) voudront probablement renforcer leurs capacités de réponse à la demande internationale.