Pour une industrie automobile africaine à compter de 2021 et sur 20 ans

Dr Hervé LADO, économiste

Dr Hervé Lado, Economiste.


La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) est entrée en vigueur le 1er janvier 2021, et il est attendu que l’expansion du commerce intra-africain booste durablement les économies du continent, dans un contexte où la pandémie de COVID-19 a montré partout les risques d’une dépendance vis-à-vis des importations. Sans l’essor du Made-in-Africa, la ZLECAF mettra simplement l’Afrique davantage au service du développement d’autres continents. Parmi les nombreux produits à promouvoir figure l’automobile, un poste significatif dans les importations du continent, qui représente à lui seul plus de 5% des achats extérieurs d’un pays comme le Cameroun.

Signe de réussite et instrument de pouvoir avant d’être un outil de travail, l’automobile est l’un des attributs ostensibles de l’élite, du haut fonctionnaire et du cadre du secteur privé, et plus largement de la classe moyenne en Afrique. Et acheter un véhicule importé est si naturel que beaucoup imaginent mal l’émergence d’une industrie automobile africaine. D’après l’Organisation internationale des constructeurs automobiles (OICA), 1.4 million de véhicules neufs en moyenne par an ont été achetés en Afrique au cours de ces dix dernières années. En faisant l’hypothèse que l’occasion représente 85% des nouveaux achats annuels, ces derniers se situeraient au total à près de 10 millions de véhicules, soit environ 10% de la production mondiale, l’équivalent de la production américaine ou encore de Toyota. La production africaine, qui s’élève à un peu plus d’un million d’unités par an, reste concentrée sur quatre pays :l’Afrique du Sud (57%), le Maroc (36%), l’Algérie (5%),l’Egypte (2%). Autrement dit, l’Afrique produit seulement 1% de sa consommation annuelle.

L’automobile fait ainsi partie des nombreux produits dont le consommateur africain raffole mais produit peu, aux côtés de vêtements, chaussures et parures ; téléviseurs, téléphones et ordinateurs ; riz, sel et poissons ; produits de toilette et de beauté ; produits pharmaceutiques ; matériaux et matériels de construction. Ainsi, le continent entretient une relation de dépendance vis-à-vis du reste du monde en important massivement des biens de consommation qu’il pourrait fabriquer. L’enjeu est grave pour le continent. Il est celui de la souveraineté économique et d’un développement durable. Entretenir de telles dépendances revient à se livrer volontairement à la servitude et à la prédation. Hier, la domination économique passait par la coercition physique, aujourd’hui elle réinvente chaque jour sa perpétuation en étant plus participative, et même plus inclusive grâce aux politiques d’africanisation. En étant si dépendante, l’Afrique mobilise les outils de production d’autres continents, et se met au service de la création de leurs emplois et de leurs richesses. Sans la déconstruction de ces canaux par lesquels l’Afrique redistribue aux autres régions du monde le fruit du labeur de ses fils et filles, l’indépendance restera théorique.

Tout au long de l’histoire, les pays ont rapidement développé les savoir-faire stratégiques qui leur faisaient défaut en les acquérant là où ils étaient les plus avancés. Au XVIIe siècle, la France domestiqua la fabrication de larges miroirs en s’en appropriant auprès de la République de Venise qui en avait longtemps gardé le monopole, et au siècle dernier, la Corée du Sud lança son industrie automobile grâce à des accords stratégiques avec le Japon. Quelques pays africains qui en ont pris conscience attirent désormais les géants mondiaux de l’automobile. Toutefois, on assistera à une avancée durable seulement si la domestication du savoir-faire, des chaines de valeur, et des revenus générés sont au cœur des accords. L’Afrique peut aussi faire un usage plus stratégique des bourses d’Etat attribuées à sa jeunesse, et accorder des incitations adéquates aux industriels africains. Dans cette perspective, les marques Kantanka au Ghana, IVM au Nigeria ou Kiira en Ouganda créées par des nationaux, souvent avec des partenaires asiatiques, sont des initiatives encourageantes. Visionnaires et responsables, ces constructeurs nationaux misent déjà sur les véhicules électriques. Cependant, combien de gouvernements africains se préparent aux booms annoncés des minéraux dits critiques (cobalt, nickel, lithium, graphite, manganèse, etc.) essentiels aux batteries électriques ? Alors que les pays occidentaux et asiatiques s’allient en ce moment pour dominer la transition énergétique, que fait l’Afrique pour contrôler la production de batteries électriques ?

Qu’il s’agisse d’attirer les constructeurs mondiaux ou de favoriser les industriels africains, les petites unités nationales n’ont pas d’avenir car c’est dans les économies d’échelles associées à une vaste promotion du Made-in-Africa que l’Afrique pourra durablement se positionner sur ce marché très concurrentiel. Les pays africains doivent mobiliser leurs diplomaties économiques pour construire des alliances stratégiques avec leurs homologues africains qui produisent déjà, en contrepartie de l’accueil d’une partie de la chaine de valeur (R&D, sous-traitance, offtake de matières premières). Ils doivent aussi se garantir mutuellement les commandes des administrations publiques à des prix qui soulagent les budgets des Etats, quand on sait que les importateurs les équipent habituellement bien au-dessus des prix de marché. D’ailleurs, plusieurs pionniers actuels du Made-in-Africa révèlent que les véhicules neufs importés reviennent plus chers que la production locale, et que celle-ci est d’autant plus rentable que les pièces sont usinées localement. Ainsi, du haut de leurs véhicules de service ou de fonction, les fonctionnaires souvent perçus dans les sociétés africaines comme des modèles de réussite ne tarderont pas à attirer les populations vers le Made in Africa.

Reste la problématique de la qualité, qui n’est pas d’une fatalité. La qualité s’améliore grâce à l’amélioration continue des normes, qui est entretenue par les autorités de régulation, l’industrie elle-même et surtout les retours d’expériences des clients. Les fabricants africains ne pourront rester insensibles aux retours des clients, au risque de disparaitre sur ce marché concurrentiel.

Par conséquent, si le consommateur africain peine encore à croire à une industrie automobile africaine, alors il appartient aux décideurs visionnaires de prendre toute la mesure de cet enjeu crucial de l’indépendance économique du continent.

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