Quel avenir pour le Commonwealth en Afrique ?

Le décès de la reine Elizabeth II fut un réel moment constitutionnel au Royaume-Uni qui a permis de mieux saisir pour certains une notion qui n’a rien d’abstrait, celle de la continuité, mais aussi de la stabilité incarnée par la Couronne britannique. A travers une mise en scène du pouvoir, de la souveraineté et de la Nation, et à travers la révélation d’une partie non écrite de la constitution britannique ou de l’acte de proclamation auquel il nous est permis pour la première fois d’assister, on comprend mieux ce que l’économiste et commentateur de la constitution Walter Bagehot désignait en 1867 par les deux parties de la Constitution.

Selon l’auteur de The English Constitution, une constitution a besoin de deux parties. La première est le « côté digne » incarné par le souverain constitutionnel qui doit inspirer la population et susciter son respect, tandis que la seconde partie est le « côté efficace » de la Constitution incarné par le gouvernement qui emploie cette dignité dans la conduite des affaires de l’Etat.

Si la mort de cette souveraine très populaire et respectée, ou du moins la période de deuil national, marque une trêve pour les velléités et fièvres indépendantistes au Royaume-Uni, certains n’ont pas attendu la fin de ce deuil pour exprimer leurs opinions et leur opposition à la monarchie notamment dans le Commonwealth. Le Commonwealth est une organisation internationale rassemblant près de 2,4 milliards de personnes, soit un tiers de la population mondiale. Les pays membres y sont « libres et égaux ». Seuls quatorze d’entre eux ont comme chef d’Etat le monarque britannique. Le Commonwealth connait globalement un élargissement, mais cet élargissement s’accompagne aussi de sa « républicanisation ».

Un message clair de Charles III

La réception par le roi Charles de la secrétaire du Commonwealth, Patricia Scotland, au lendemain de sa proclamation est un message clair. L’expérience et l’âge avancé du plus vieux prince héritier de l’histoire, aujourd’hui devenu roi, ne le dispenseront sans doute pas d’une épreuve de baptême de feu. Ce baptême de feu se fera sans doute sur la question de la sauvegarde et de la cohésion du Commonwealth.

Dans les Caraïbes, la Barbade a quitté le giron de Buckingham Palace l’an dernier. La Jamaïque, que le Duc et la Duchesse de Cambridge avaient récemment visitée, est sans doute la prochaine sur la liste des Etats à désirer rompre avec la Couronne britannique.

Mais c’est en Afrique anglophone que se jouera essentiellement l’avenir du Commonwealth, où celui-ci est encore associé aux pages douloureuses de l’Empire colonial. Des pages qui restent encore à écrire pour pouvoir être tournées, notamment au Kenya où a débuté le règne de la jeune Elizabeth II en 1952, avec la révolte des Mau Mau réprimée dans le sang ou encore avec la guerre du Biafra pour le Nigeria.

En 2013, la justice britannique a admis l’indemnisation à hauteur de 23 millions d’euros de plus de 5000 Kenyans victimes d’exactions dans les années 1950. A l’heure où les questions mémorielles s’invitent de plus en plus dans les débats et où les nations anciennement colonisées réclament de plus en plus des actes de repentance ainsi que l’accès à leurs archives gardées dans les anciennes métropoles, il ne peut être que salutaire et apaisant que de faire un pas vers l’autre en regardant l’histoire en face. Ce serait aussi la meilleure façon de lutter contre ce qu’on appelle la « cancel-culture » ou le déboulonnage des statues qui préfèrent la chasse aux sorcières à la nuance plus difficile à entendre. L’histoire, elle, a le souci de la nuance, contrairement à la politique qui la craint.

La mémoire de la reine n’est, hélas, pas célébrée partout. Bien qu’elle ne soit pas directement responsable des malheurs de ces populations causés dans un autre temps par son gouvernement, il n’en demeure pas moins que ce gouvernement agit en son nom. Il suffit d’écouter l’indien Shashi Tharoor pour s’apercevoir que l’on ne garde pas le même souvenir de la reine à Delhi qu’à Londres et que Winston Churchill, pour les Indiens, est bien éloigné de celui dépeint par François Kersaudy ou Boris Johnson. Et l’on ne peut comprendre la montée du nationalisme hindou en Inde et les tensions avec le Pakistan ou le Bangladesh sans avoir à l’esprit le plan Mountbatten, du nom de l’oncle du prince Philip, dernier vice-roi des Indes fauché par l’IRA en 1979, dont les lancinantes conséquences rythment encore la vie publique au sous-continent.

Élargissement en vue ?

Néanmoins, la tendance actuelle s’inscrit dans un contexte d’élargissement du Commonwealth. Ce dernier compte aujourd’hui 56 pays. Des Etats comme le Rwanda ou le Mozambique qui ne font pourtant pas partie des anciennes colonies britanniques en sont membres. Kigali, qui a adopté l’anglais comme l’une de ses langues officielles et qui a écarté la langue française au profit de l’anglais comme langue d’enseignement obligatoire à l’école en 2008, est, comme d’autres Etats africains, attiré par les opportunités économiques et culturelles qu’offre le Commonwealth.

De plus, cette organisation est relativement peu contraignante, il est facile d’y adhérer et facile de la quitter. Le Commonwealth s’est également élargi, le 22 juin dernier, à des pays comme le Togo ou le Gabon qui font traditionnellement partie de la sphère d’influence française. Le président du Gabon Ali Bongo déclarait en juin dernier que « l’adhésion au Commonwealth signifie à terme plus d’emplois créés, plus de richesses distribuées », elle permet « de poursuivre sa politique de rayonnement sur la scène internationale et de diversification de partenariats », rajoutant que sa décision souveraine devait être respectée.

Le Commonwealth se place aujourd’hui en véritable concurrent de l’Organisation internationale pour la Francophonie (OIF) dans un continent où la diplomatie française subit plusieurs revers diplomatiques comme en témoigne le cas du Mali ou le rapprochement du Tchad avec d’autres partenaires continentaux comme le Maroc.

La « diversification des partenariats » évoquée par le président Bongo est devenue le leitmotiv de maints Etats africains souhaitant réduire leur dépendance vis-à-vis de partenaires dits traditionnels. La présence de la France en Afrique suscite aussi plus de méfiance chez les jeunes générations et la question de l’abandon du français pour l’anglais se pose aujourd’hui même dans les pays les plus proches de la France comme le Maroc.

Par ailleurs, des pays qui ont quitté le Commonwealth désirent aujourd’hui être réadmis au club, soit après un changement de la couleur politique au pouvoir, soit à la suite d’un renversement de régime comme la Gambie en 2017 ou le Zimbabwe suite au départ de Robert Mugabe.

Le Commonwealth comme alternative au marché commun

Le roi Charles III, poursuivant l’élan de sa défunte mère, verra très probablement aussi son rôle renforcé à la tête d’un Commonwealth à la rescousse du Royaume-Uni post-Brexit. Rappelons aussi que la famille royale britannique, sans pouvoir l’exprimer officiellement, ne fut très semblablement pas favorable au Brexit.

Le rôle, quoique symbolique du souverain à la tête de cette organisation, est un formidable outil de soft power et de diplomatie parallèle qui vient en grand renfort au Foreign Office. Néanmoins, le Royaume-Uni est encore davantage dépendant de ses échanges avec l’Union européenne que de ses échanges avec les pays du Commonwealth.

En effet, le commerce entre le Royaume-Uni et le Commonwealth ne représente qu’environ 10% contre près de 50% pour le commerce entre le Royaume-Uni et l’UE. Le Commonwealth comme alternative au marché commun, miroité à l’époque par Boris Johnson et les pro-Brexit de l’UKIP de Nigel Farage, n’est pas encore une option viable.

Il est à noter aussi que le Commonwealth n’offre pas la même homogénéité que l’Union européenne. Certes, les pays du Commonwealth partagent la même langue et le libre-échange est facilité par le partage d’un système juridique de Common Law, mais les disparités entre les pays membres, comme entre Singapour et certains pays pauvres d’Afrique ou archipels d’Océanie, créent de véritables asymétries.

Se pose aussi la question du respect disparate par certains Etats des objectifs de la Charte du Commonwealth s’agissant notamment du respect des droits de l’homme, de la non-discrimination et de la promotion de la « Rule of Law » ou de l’Etat de droit. Le Commonwealth constitue pour le moins un vecteur et un levier de développement des pays qui en sont membres et notamment des petits états insulaires qui font face à l’urgence climatique comme les Iles Tonga. Champion et expert des questions climatiques et environnementales, le roi Charles III ne manquera sans doute pas de placer ces questions au cœur des défis à relever par le Commonwealth.

(*) Juriste, spécialiste en géopolitique et en histoire.

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