A la veille du coup d’envoi de la mobilisation contre la réforme des retraites, le voile s’est levé sur l’ampleur des perturbations attendues dans plusieurs secteurs-clés, en premier lieu les transports et l’éducation. Ministres et cadres du camp présidentiel disent s’attendre à « un jeudi de galère » dans les transports et « du monde dans la rue », mais s’abstiennent de tout pronostic public sur la suite du mouvement porté par les huit principaux syndicats de salariés. Objectif : expliquer ce que contient le texte et ne pas jeter de l’huile sur le feu en se montrant « présomptueux ».
Le jeudi noir tant redouté par des parents d’élèves ou les usagers des transports du quotidien aura bien lieu. Dans de nombreux secteurs, en effet, l’appel à la grève porté par huit syndicats, va être très suivi.
Ainsi, 70% de grévistes sont attendus dans les écoles maternelles et élémentaires. La grogne des profs, aiguisée par l’ouverture mercredi des négociations sur les revalorisations salariales dans l’Education, ne devrait pas épargner non plus collèges et lycées. Des blocages d’établissements par des lycéens sont également à prévoir.
Dans les transports publics, la circulation sera « fortement perturbée » à la SNCF, en particulier pour les trains régionaux (TER et Transilien), un peu moins pour les TGV. Le trafic sera « très perturbé » à la RATP sur les réseaux RER et métro, avec trois lignes interrompues et dix autres exploitées seulement aux heures de pointe. « Ce sera un jeudi de galère, (…) de fortes perturbations », avait anticipé dès mardi matin le ministre délégué chargé des Transports Clément Beaune, invitant au « télétravail quand c’est possible ».
Les syndicats des transports parisiens sont d’autant plus remontés que le gouvernement veut supprimer, à terme, leur régime spécial de retraite, comme il l’a déjà fait pour les cheminots. Les perturbations n’épargneront pas le secteur aérien: en raison d’une grève d’aiguilleurs du ciel, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies d’annuler préventivement un vol sur cinq à Orly jeudi.
Un mouvement reconductible se dessine dans le secteur de l’énergie
Le scénario d’un mouvement reconductible se dessine dans le secteur de l’énergie où « des baisses de production d’électricité » sont à prévoir, a prévenu le leader de la FNME-CGT Sébastien Menesplier, évoquant de possibles « coupures » visant les élus « qui soutiennent la réforme ». Une montée en puissance se profile aussi dans les raffineries, avec des préavis de 24 heures jeudi, puis 48 heures la semaine prochaine et 72 heures début février. Au dépôt TotalEnergies de Dunkerque, « les salariés sont très remontés » contre la réforme, affirme le secrétaire CGT Benjamin Salvino qui table sur une activité presque à l’arrêt jeudi, mais sans conséquence immédiate dans les stations-services. Des pénuries un peu plus nombreuses que d’ordinaire étaient toutefois observées en ce début de semaine, signe d’une possible peur de manquer chez certains automobilistes.
« Un projet de justice » pour Elisabeth Borne
Dans ce contexte explosif, le gouvernement est sur le qui-vive et ne cesse de vouloir apaiser les tensions en prenant la parole par l’intermédiaire de ministres dans les médias ou devant le élus : « notre projet est un projet de justice », a martelé la Première ministre Élisabeth Borne lors de la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, citant les mesures sur les carrières longues et la pénibilité. Mais, a-t-elle enchaîné, « nous avons un objectif : préserver notre système par répartition ». Ce qui passe selon l’exécutif, rappelons-le, par le report de l’âge légal et un allongement accéléré de la durée de cotisation (43 ans en 2027).
Emmanuel Macron, silencieux, pourrait intervenir avec plus de force que ses ministres en cas de blocage majeur. « Il a raison de ne pas être en première ligne », estime Frédéric Dabi, de l’institut de sondages Ifop, évoquant un partage des rôles « classique » sous la Ve République, avec la Première ministre Elisabeth Borne chargée de porter la réforme. « S’il y a une crispation terrible, s’il y a blocage, il pourra toujours intervenir plus tard ». Un ministre reconnaît qu’une expression plus forte du président de la République au moment où « vont se cristalliser les positions » dans l’opinion pourrait se révéler contre-productive. « Ce sera de toute façon le juge de paix à la fin si les positions sont bloquées, ou si d’un point de vue politique et social, les choses se passaient moins bien ».
Ne pas paraître « présomptueux »
Les propos du porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, qui a affirmé ne pas se projeter « dans l’idée d’une mobilisation massive », ont agacé certains de ses collègues. Il ne faut pas apparaître « présomptueux », prévient l’un d’eux.
Mais en privé, plusieurs affichent une confiance mesurée, pariant sur une forme de lassitude, voire de résignation, chez des Français avant tout préoccupés par l’envolée de leurs factures. Pour Frédéric Dabi, « tout se passe comme si les Français avaient intériorisé le fait que l’exécutif ne pourra pas lâcher, parce que Macron joue son quinquennat » et veut « faire oublier l’impression d’inaction étonnante du début de ce second mandat ».
Garder la confiance de la majorité présidentielle, 50 jours pour convaincre
Dernier point à déminer : les ajustements au projet d’Elisabeth Borne que de plus en plus d’élus de la majorité relative commencent à mettre sur la table en vue du débat parlementaire. Or « il y a très peu de marge financière », prévient un dirigeant du camp présidentiel. Quoiqu’il en soit, les débats devraient s’achever le 26 mars, date limite pour une adoption définitive du texte au bout du délai de 50 jours qui court à partir de la réception de documents par la présidence de l’Assemblée, sans doute le 28 janvier.
Ecoles, trains, métros, avions, centrales électriques, audiovisuel public… Le point sur les secteurs où la grève s’annonce suivie jeudi.
Education
Le mouvement s’annonce très suivi dans les écoles, avec 70% d’enseignants grévistes au niveau national dans le premier degré et « au moins un tiers » des établissements fermés à Paris, selon le Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire. Dans les collèges et lycées, « on s’oriente aussi vers une grève très suivie », selon les premiers éléments recueillis par le Snes-FSU, premier syndicat du secondaire.
Transports
Le trafic sera « très perturbé » dans le métro parisien, avec trois lignes fermées, dix autres ouvertes « uniquement aux heures de pointe » et un « risque de saturation » sur les trois dernières, selon la RATP. Sur les RER A et B – les deux lignes les plus fréquentées d’Europe – la circulation sera limitée à un train sur deux au maximum aux heures de pointe, tandis que les perturbations seront plus limitées dans les autobus (2 sur 3) et les tramways (3 sur 4). A la SNCF, la circulation des trains sera « très perturbée », en particulier dans les trains régionaux – TER et Transilien. La compagnie ferroviaire prévoit 1 TGV sur 3 sur l’axe Nord, 1 sur 4 sur l’Est, 1 sur 5 sur l’Atlantique, 1 sur 3 sur le Sud-Est et 1 sur 3 pour Ouigo. Mais aussi 1 TER sur 10 en moyenne, et en Ile-de-France 1 train sur 3 sur les lignes A, B, H et U, et 1 train sur 10 sur les lignes C et D (en partie fermées), J, K, L, N et P.
La grève sera également suivie chez les contrôleurs aériens, en particulier à l’aéroport d’Orly où la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies d’annuler préventivement 20% de leurs vols, tout en prévenant que cela n’empêcherait pas des « perturbations et des retards ».
Énergie
Soutenue par l’ensemble des syndicats du secteur, la grève se traduira par des baisses de production des centrales électriques qui ne devraient pas entraîner de coupures de courant. Dans les raffineries et les dépôts de carburants, la CGT a déjà arrêté son calendrier: après celui de jeudi, elle prévoit d’autres arrêts de travail de 48 heures les 26 et 27 janvier, puis 72 heures du 6 au 8 février. L’impact ne sera pas immédiat dans les stations-services car « les stocks peuvent largement absorber » une première grève de 24 heures, mais « certaines stations d’autoroute pourraient fermer », indique Eric Sellini, reponsable CGT chez TotalEnergies.
Et ailleurs
Dans les finances publiques, s’il est difficile de prévoir à l’avance des fermetures de trésoreries, la réforme des retraites « occupe tous les esprits », selon Anne Guyot-Welke, secrétaire générale de Solidaires Finances publiques.
Les programmes de télés et de radios publiques devraient être largement perturbés en raison d’appels à la grève à France Télévisions, Radio France et France Médias Monde (France 24 et RFI).
(Avec AFP)