Afin d’attirer de nouveaux investisseurs, les institutions internationales prônent des partenariats public-privé « dé risqués ». Mais les Etats devraient compenser les pertes. Il faut donc un développement de l’industrie manufacturière des biens de consommation qui procurera des emplois et du pouvoir d’achat aux populations utilisatrices de services publics.
L’Afrique subsaharienne est sous-équipée en services publics, mais les projets infrastructurels impliquant des investissements privés accusent un recul depuis 2012. Afin d’attirer de nouveaux investisseurs, les institutions internationales prônent des partenariats public-privé « dé risqués ». Mais les Etats devraient compenser les pertes. Il faut donc un développement de l’industrie manufacturière des biens de consommation qui procurera des emplois et du pouvoir d’achat aux populations utilisatrices de services publics. Les budgets de certains Etats pourraient s’équilibrer et les industries consommatrices d’énergie ou d’autres infrastructures, participeraient considérablement à la rentabilité de ces nouveaux équipements.
Partenariats public-privé (PPP) pour financer des services publics et infrastructures
La Banque Mondiale est à l’initiative du projet « From Billions to Trillions » dévoilé en 2015 puis rebaptisé « Maximizing Finance for Development » en 2018.L’institution financière préconise des partenariats public-privé (PPP) afin de décupler la puissance des 150 milliards de dollars de prêts publics au développement que les banques multilatérales de développement (BMD) versent chaque année pour doper les investissements dans les services publics de pays sous-équipés.
Selon le FMI, le montant des opportunités d’investissements en matière de création de services publics en Afrique subsaharienne est estimé à « 20 % du PIB en moyenne d’ici la fin de la décennie » (PIB annuel de 2000 milliards de dollars environ). Lors du sommet France Afrique, le président français Emmanuel Macron a présenté un « new deal » déployé dans le cadre de l’Initiative France-Banque mondiale et promu par l’Agence française de développement (AFD) pour intensifier le recours aux PPP en Afrique.
Les PPP dans des projets infrastructurels en Afrique subsaharienne sont en chute libre
Ainsi que le souligne la publication du FMI Comment attirer les fonds privés pour financer le développement de l’Afrique ?, « le rôle restreint des investisseurs privés en Afrique est également manifeste sur le plan international : le continent n’attire que 2 % des flux mondiaux d’investissements directs étrangers ». Nombreux sont les pays africains qui veulent conclure des PPP pour installer des services publics, mais Il est peu certain que les milliards escomptés affluent. Selon la base de données de la Banque mondiale, ces investissements sont en chute libre « En Afrique subsaharienne, les investissements dans les projets infrastructurels associant le secteur privé sont tombés de 15 milliards de dollars en 2012 à 5 milliards en 2019 ».
Plusieurs critiques à l’égard des partenariats public-privé dédiés aux services publics
L’article Intitulé Le lourd tribut du « dérisquage » des financements infrastructurels, écrit sur Project Syndicate en 2018 par Howard Mann, conseiller principal en droit international à l’Institut international du développement durable, alertait déjà. Bien que ne doutant pas des bonnes intentions de la Banque mondiale, celui-ci écrivait à propos des financements par PPP : «de nombreux pays en voie de développement s’orientent aujourd’hui tout droit vers un scénario désastreux. Dans de nombreux cas, lesrisques pris en charge par les Etats s’étendent sur 20 à 30 ans. Pendant toute cette durée, les gouvernements seront confrontés à de sérieux défis dans la gestion des dépenses publiques, et subiront des coûts imprévus liés à des engagements hors comptabilité ainsi qu’à une dette excessive, ce qui soulève la possibilité d’un défaut sur tous les engagements de crédit ». En décembre 2020, dans l’article « La doctrine Macron en Afrique : une bombe à retardement budgétaire » publié par le Groupe d’études géopolitiques (GEG) de l’Ecole nationale supérieure (ENS), deux économistes, Daniela Gabor (auteure du livre The Wall Street Consensus, édité en 2020) et Ndongo Samba Sylla, dénonçaient les mêmes problématiques, mais aussi l’influence des marchés financiers.
Le modèle économique importe au moins autant que le mode de financement des infrastructures
Alors certes ces risques sont réels et cela se vérifiera probablement lors de certains partenariats public-privé. Mais la plupart des Etats ne peuvent financer les travaux publics et souvent leurs économies respectives jugées peu « bankable », ne leur permettent guère d’émettre des obligations ou d’obtenir des prêts. Les PPP pourraient donc constituer des solutions si toutefois le développement économique est aussi au rendez-vous. Car le type de financement n’est pas l’unique paramètre. Le modèle de développement importe au moins autant. Si l’emploi informel qui concerne 85 % de la population subsaharienne demeure la règle, les revenus augmenteront peu. Mais dans le cas d’une forte industrialisation, la hausse de pouvoir d’achat, l’enrichissement des Etats et la consommation d’industries permettraient de rentabiliser les équipements et d’honorer les engagements signés.
Une efficience limitée des aides publiques et des investissements sans vision globale
La politique d’aide au développement de l’Afrique subsaharienne échoue depuis 60 ans. L’industrie de cette région s’articule surtout autour du secteur des matières premières et de la transformation des productions agricoles. Aujourd’hui, la plupart des biens de consommation sont importés de Chine. Aussi dans un environnement dépourvu d’écosystèmes industriels, les investissements désordonnés sont souvent vains. Le G7 promet 80 Milliards de dollars répartis sur cinq ans aux entreprises africaines, mais quels que soient les montants, une stratégie est indispensable. Au lieu d’injecter ici et là, des capitaux sans cohérence d’ensemble, il conviendrait, afin d’éviter une déperdition d’efficacité et de rendement, de concentrer ceux-ci en amont de secteurs industriels porteurs d’emplois. Ainsi, en aval des millions d’autres d’emplois de services, indirects et induits se créeraient naturellement ensuite. En usant de tels mécanismes, les besoins en financements et subventions seraient moins colossaux.
L’industrialisation demeure la seule solution pour développer l’économie de l’Afrique subsaharienne
30 millions d’Africains arrivent sur le marché du travail chaque année aussi faut-il accorder une priorité aux projets industriels. En effet, on observe habituellement dans les pays développés que chaque emploi industriel génère en moyenne 3 ou 4 autres emplois induits ou indirects, mais dans des pays où tout est à construire, ce chiffre pourrait être encore multiplié par 2 ou 3. C’est pourquoi il serait pertinent de réunir d’abord les conditions de cette industrialisation en construisant les infrastructures nécessaires et en installant simultanément des parcs d’activités sectoriels pouvant accueillir des entreprises souvent occidentales qui partageraient des savoir-faire et constitueraient, aux côtes de nouvelles entreprises locales, des écosystèmes performants.
Associer des projets infrastructurels avec un plan d’industrialisation de l’Afrique subsaharienne
Lors du G20 de 2017 à Hambourg, la chancelière Angela Merkel annonçait le programme Compact With Africa (CWA) qui concernait les entreprises allemandes et 12 pays d’Afrique dont 8 en région subsaharienne. 4 ans plus tard, il a sans doute permis des rapprochements, mais semble au point mort.
Plus ambitieux, le projet «Africa Atlantic Axis» (AAA) ou «Plan de régionalisation de production Europe Afrique» s’adresse à des entreprises de toutes nationalités et offrirait ainsi d’importantes possibilités de développement aux entreprises africaines et de nombreux emplois. Celui-ci propose une industrialisation de l’Afrique subsaharienne dans le respect de l’environnement à partir de bases productives qui s’intègreraient au sein de chaines de valeur mondiales (CVM). Elles seraient d’abord implantées dans des pays de la façade atlantique ou proches de celle-ci afin de fluidifier les échanges avec l’Europe et les USA avant de s’étendre progressivement à tout le continent. D’autre part, l’augmentation raisonnable des salaires de production que nos études recommandent dans le cadre du projet «International Convention for a Global Minimum Wage», ferait reculer la pauvreté et permettrait ainsi à un nombre croissant d’Africains d’avoir accès aux nouveaux services publics. En avançant de concert, projets d’industries manufacturières et PPP créant des services publics, se renforceraient mutuellement et favoriseraient ainsi leur viabilité.
(*) Francis Journot est consultant et entrepreneur. Il dirige le «Plan de régionalisation de production Europe Afrique» ou programme «Africa Atlantic Axis» et fait de la recherche en économie depuis 2013 dans le cadre du projet «International Convention for a Global Minimum Wage».