Dr Rabiou Abdou : « Le taux de croissance au Niger devrait approcher 8 % cette année »

Les 5 et 6 décembre 2022, l’Hôtel du Collectionneur à Paris accueillera la Table Ronde des investisseurs et partenaires au développement de la République du Niger, en présence du président Bazoum. A la veille de cet événement, Dr Rabiou Abdou, ministre du Plan du Niger, décrypte les priorités stratégiques du Plan de développement économique et social (PDES 2022-2026) dont le coût est estimé à 29,7 milliards d’euros.

Nous sommes à la veille de la Table Ronde des investisseurs et partenaires au développement du Niger. Ce sera l’occasion de présenter le nouveau PDES et son Plan d’actions prioritaires (PAP). En substance, que recouvre-t-il ?

Dr Rabiou Abdou : l’objectif du PDES 2022-2026, adopté par le gouvernement le 10 juin 2022, est de consolider les bases de développement économique et social du Niger, en vue d’une profonde transformation structurelle de notre économie. Le PDES est structuré autour de 3 axes. Le premier axe est consacré au développement du capital humain, à l’inclusion et à la solidarité. L’axe n° 2 concerne la consolidation de la gouvernance, la paix et la sécurité. Enfin, l’axe n° 3 s’intéresse à la transformation structurelle de l’économie (…) Nous voulons à travers ce PDES, maintenir une croissance moyenne de 9,3 % sur la période 2022-2026, ce qui permettrait d’accroître de 7,7 % le PIB par habitant.

De quelle façon va s’opérer la mise en place des stratégies définies dans le PDES ?

Nous faisons des programmes structurants, une priorité. C’est le cas du programme « Une Région, une Industrie et des pôles agro-industriels » axé sur l’industrialisation basée sur les chaînes de valeurs agro-sylvo-pastorales ou du Programme Kandadji qui permet l’irrigation et la production d’énergie hydroélectrique. Un accent particulier sera donc mis sur le développement de chaînes de valeurs agro-sylvo-pastorales (riz, oignon, sésame, niébé, moringa, souchet, bétail, viande, volaille).

Le PDES prévoit par ailleurs, la construction d’usines d’engrais et d’aliments pour le bétail, mais aussi des chapitres consacrés au développement de l’énergie, à l’électrification rurale et urbaine, au développement de la fibre optique, sans oublier les stratégies relatives au désenclavement du pays à travers la construction de routes bitumées dont la transsaharienne, des routes rurales et des voies ferrées. Une attention particulière sera également accordée au développement du numérique, du capital humain et des chaînes de valeurs minières et pétrolières. Pour réaliser tous ces programmes, nous comptons renforcer les partenariats publics-privés (PPP).

Comment se dérouleront les journées des 5 et 6 décembre prochains, à Paris ?

Le premier jour sera le plus solennel, car nous y présenterons le PDES après le discours d’ouverture du président de la République. Les partenaires techniques et financiers, les agences de développement et de coopération, les banques de développement et tous les acteurs institutionnels se retrouveront autour de panels qui seront animés par des ministres du Gouvernement nigérien et des personnalités du monde de l’entreprise ou de la finance. Des annonces sont attendues. Le deuxième jour sera consacré au Forum des investisseurs. L’accent sera mis sur le secteur privé pour attirer davantage d’investissements directs étrangers (IDE). Des acteurs de l’énergie, de l’agriculture, du pétrole, des mines, de l’éducation, de la transformation agro-industrielle, seront présents (Orano, CNPC, SATOM…).

Combien comptez-vous lever dans le cadre de cette rencontre et de quelle façon seront prioritairement répartis ces fonds ?

Le coût global du PDES 2022-2026 est évalué à un montant de près 29,7 milliards d’euros. Ce montant est composé de 13,4 milliards d’euros de ressources de l’Etat, ce qui témoigne de notre responsabilité et de la volonté de l’Etat à jouer sa partition en matière de financement de développement. Ensuite, 16,3 milliards d’euros sont attendus de nos partenaires techniques et financiers, soit 10,3 milliards d’euros des partenaires institutionnels et 6 milliards d’euros du secteur privé national et international. Concrètement, 44 % de ces fonds seront orientés vers le 1er axe du PDES (soit 13 milliards d’euros), 26 % vers l’axe n° 2 (soit 7,7 milliards d’euros) et 30 % vers le 3e axe (soit 8,9 milliards d’euros). Il ressort donc que près de la moitié du financement du PDES est affecté au développement du capital humain qui constitue la première priorité de l’Etat.

Quelles différences majeures peut-on constater avec le précédent PDES ?

Le précédent PDES était structuré autour de 5 axes et nous l’avons réduit à 3. Nous avons fusionné l’axe relatif à la renaissance culturelle, destiné à lever un certain nombre de pesanteurs sociales et culturelles malgré sa pertinence, avec d’autres priorités au niveau de l’axe n° 1. Nous avons donc maintenu cet objectif qui est intégré dans le programme 6 de l’axe n° 1 du PDES 2022-2026. En effet, il subsiste beaucoup de préjugés et de superstitions défavorables au développement au Niger à l’image des notions de castes préjudiciables à la production et à la création d’emplois.  La renaissance culturelle s’attaque à ses préjugés pour lever les complexes qui freinent le développement économique. Néanmoins, en termes de mesure et d’impact, cela est difficilement quantifiable. Le 2e axe fusionné (axe 5 du précédent PDES) concerne la gestion durable de l’environnement, désormais intégré dans l’axe 3. Enfin, le coût global du précédent PDES était de 15 018 milliards de francs CFA. Le montant du PDES 2022-2026 a été augmenté donc d’environ un quart par rapport au précédent.

Quel bilan tirez-vous du Plan de développement économique et social 2017-2021 ?

La mise en œuvre du PDES 2017-2021 a permis de maintenir un taux de croissance économique de 4,6 % en moyenne sur la période. Cette performance est le résultat de la mise en œuvre de projets d’envergure et d’une politique budgétaire prudente axée sur la recherche de l’équilibre entre la prise en charge des dépenses sociales induites par divers chocs et la stabilité macroéconomique. L’inflation a été maîtrisée en moyenne à 1,4 % en dessous du seuil communautaire de 3 % retenu comme critère de convergence de l’UEMOA (…). En dépit des chocs climatiques, sanitaires et sécuritaires, amplifiés par la baisse des prix de nos produits d’exportation, l’économie est restée résiliente, avec des taux de croissance de 3,6 % en 2020. Cette croissance s’est rétractée à 1,4 % en 2021 du fait d’un choc climatique, générant une baisse de la production céréalière de 38 %. En 2022, le taux de croissance devrait atteindre près de 8 % en lien avec une campagne agricole exceptionnelle, marquée par une croissance de la production céréalière de +64 % par rapport à l’année 2021.

L’axe n° 3 du PDES 2022-2026 porte notamment sur la transformation structurelle de l’économie. Or, le Sommet de l’industrialisation en Afrique qui se tenait au Niger s’est achevé il y a quelques jours. Quelles conclusions en tirez-vous ?

En dehors de quelques exceptions, l’économie africaine est peu industrialisée. Faute de transformation locale, le continent africain continue largement d’exporter des matières premières à faible valeur ajoutée tandis qu’il importe des produits manufacturés à haute valeur ajoutée. Pourtant la transformation est synonyme de création de richesse et d’emplois. Ce constat au niveau continental s’applique au niveau de chacun de nos États. Selon les statistiques, la part de l’Afrique dans le commerce mondial ne représente que 4 % et le commerce interafricain ne représente que 17 % du commerce du continent (…). Lors de la semaine de l’industrialisation, les participants ont cherché à orienter les politiques sur les questions relatives à l’innovation technologique, au développement des chaînes de valeurs industrielles locales et régionales tout au long de la mise en œuvre de la Zlecaf et aux partenariats pour atteindre l’industrialisation de l’Afrique. Il fut aussi question d’emploi des femmes et des jeunes, de consolidation de la gouvernance, mais aussi de diversification du tissu industriel de l’Afrique.

Plusieurs grands chantiers infrastructurels sont engagés au Niger comme l’oléoduc entre Agadem (est du Niger) et le port de Sémé (Bénin) qui s’étend sur 1 982 km, dont 1 293 km au Niger et qui a coûté 2,3 milliards de dollars. Quand sera-t-il opérationnel ?

Il sera opérationnel au quatrième trimestre 2023. À travers ce projet, nous comptons quintupler nos exportations du pétrole et multiplier conséquemment nos recettes budgétaires issues de la chaîne des valeurs pétrolière. Le pétrole qui transitera par le pipeline sera destiné à l’exportation. Nous produisons 20 000 barils par jour actuellement, 100 % raffinés au Niger. Notre besoin interne représente environ un tiers de notre production raffinée donc les deux tiers sont exportés vers l’étranger. Diriger la totalité de la production brute de pétrole via le pipeline vers l’exportation à partir de fin 2023, ne pénalisera pas la demande interne.

L’exploitation des énergies fossiles, en l’occurrence du pétrole, à l’heure où le GIEC multiplie les rapports alarmistes n’est-elle pas sujette à caution ?

Notre position est médiane. Elle est également responsable et pragmatique. S’agissant des énergies fossiles, nous avons l’obligation d’assurer notre développement à partir de nos dotations naturelles tout en respectant l’environnement. Nous sommes entrés dans une phase de transition énergétique. Nous multiplions les réseaux solaires à travers le pays et conduisons des projets en matière d’hydroélectricité et même dans le domaine éolien. Au total, nous sommes pour une transition énergétique responsable et juste qui nous permettra d’exporter, mais aussi de bénéficier de nos ressources naturelles, tout en finançant le mix énergétique et le passage du fossile au renouvelable.

Précisément, où en est le grand projet de barrage de Kandadji ?

Le rêve est en train de devenir une réalité. Le barrage de Kandadji a nécessité la mobilisation des grands moyens, y compris financiers de l’ordre de 900 milliards de francs CFA. Le financement est totalement couvert et nous sommes arrivés à un taux d’exécution d’environ 30 %. Ce barrage permettra notamment l’optimisation de la gestion du fleuve Niger et le développement de l’irrigation. Il sera en mesure d’irriguer jusqu’à 45.000 hectares de terres, d’augmenter la production agricole et de renforcer la sécurité alimentaire. La centrale électrique de 132 MW va accroître la sécurité énergétique du pays. La date de livraison du barrage (lot 1) serait fin 2025.

Dans le chapitre consacré à la transformation structurelle de l’économie du PDES 2022-2026, quelle est la stratégie de développement des chaînes de valeurs locales ?
Au niveau agricole par exemple, nous envisageons de développer des chaînes de valeurs agro-sylvo-pastorales, de mettre en place des centres de collecte de produits agro-sylvo-pastoraux pour ravitailler des industries dans des zones économiques spéciales assimilées à des pôles agro-industriels. En fonction des avantages comparatifs et du potentiel productif, nous en prévoyons sur la période du plan, un pôle agro-industriel par région. Le code des investissements a été révisé. Il est aujourd’hui beaucoup plus attractif pour les investisseurs avec des incitations fiscales. Par exemple, toute entreprise qui se créé au Niger est exemptée d’impôt pendant les deux premières années.

Quels sont les grands projets infrastructurels en cours dans le PDES 2022-2026 ?

À titre d’exemple, on peut citer, outre le Barrage de Kandadji, le Programme d’Accélération de l’accès à l’électricité au Niger (HASKE) d’un montant de 825 millions de dollars avec une première phase de 375 millions de dollars. Ce projet va permettre en particulier d’augmenter le taux d’accès à l’électricité et de renforcer les capacités de production d’énergie renouvelable.

Le projet Plateforme intégrée de l’Eau au Niger (PISEN), sur une durée de 7 ans, pour un coût de 700 millions de dollars, va optimiser la gestion des ressources en eau et améliorer la résilience à la variabilité de l’eau. Nous avons également le projet d’Appui à la Connectivité Nord-Est, d’un montant de 350 millions de dollars pour la réhabilitation du tronçon routier de 226 km entre Tanout et Tiguidit d’une part, et l’entretien du tronçon routier de 425 km entre Zinder et Agadez d’autre part (…).

Dans l’axe n° 1 relatif au développement du capital humain du PDES 2022-2026, il est prévu entre autres, la construction de 35 hôpitaux de districts ainsi que la remise à niveau des plateaux médicaux existants (…) Nous avons également développé un projet novateur dans le domaine de l’énergie renouvelable, le Projet Scaling Solar soutenu par la Banque mondiale. Nous sommes à la phase de short-list dans le processus d’appel d’offres. C’est une expérience inédite qui consiste à mettre les grands producteurs privés d’énergie solaire en concurrence afin de bénéficier d’une énergie à faible coût à vendre à la Société Nigérienne d’Électricité qui à son tour répercute ces coûts favorables aux industriels et aux ménages.

Le président Bazoum est un ancien professeur. Quels sont les projets liés à l’éducation inscrits dans le PDES 2022-2026 ?

Effectivement, l’éducation et en particulier celle des filles est au cœur du programme politique du président Bazoum. C’est dans ce cadre qu’il a mis en place un important programme d’amélioration de la qualité de l’enseignement et de construction d’infrastructures scolaires, en particulier la construction de centaines d’internats de jeunes filles et le remplacement des classes en paillote par la construction de 36.000 classes en matériaux définitifs.

Le volet n° 2 « Consolidation de la gouvernance, paix et sécurité » concentre un quart du budget du PDES 2022-2026. Quelle est la part de la sécurité dans le budget global du Niger ?

Les dépenses de sécurité exercent un effet d’éviction réel sur les dépenses de développement au Niger. Avant l’effondrement de la Libye, notre budget moyen de la défense représentait en moyenne 10 à 11 % du budget national. Aujourd’hui, environ 20 % du budget national sont consacrés à la défense et à la sécurité. La conséquence de notre effort est qu’aucun espace de notre territoire n’est occupé par les terroristes. Notre pays est entièrement sous le contrôle de nos forces de défense et de sécurité. Le Niger est aujourd’hui comme un îlot de paix dans un espace complexe.

Qu’est-ce qui fait la spécificité de cette Table Ronde pour les investisseurs par rapport aux éditions précédentes ?

Habituellement dans ce genre d’exercice, on se contente de lister au mieux des fiches de projets. Pour la présente édition, nous mettons sur la table des études de faisabilité complètes des projets structurants élaborés par des Cabinets de renommée internationale. Cette option permettra aux investisseurs de se faire une idée précise des caractéristiques économiques, financières, environnementales, sociétales et de rentabilité des projets, facilitant ainsi leur prise de décisions d’investissement.

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