L’Europe n’a actuellement aucune solution de remplacement immédiate si les importations de gaz venues de Russie devaient cesser, que ce soit du fait de la Russie ou que ce soit du fait des Européens. Ce matin au forum de la FNTP, Patrick Pouyanné expliquait pourquoi ainsi que les mécanismes de hausses des prix depuis l’an dernier.
« Si le gaz russe ne vient pas en Europe, on a un vrai sujet de prix du gaz en Europe », a déclaré le président du groupe pétrolier TotalEnergies, Patrick Pouyanné, s’exprimant à Paris lors du forum de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), à propos de la perspective de sanctions occidentales contre la Russie.
Autrement dit, l’Europe n’a actuellement aucune solution de remplacement immédiate si les importations de gaz venues de Russie devaient cesser, que ce soit du fait de la Russie (ce qui n’est pas le cas pour le moment, la Russie ayant proclamé que les contrats seraient tous honorés) ou que ce soit du fait des Européens si ceux-ci décidait de boycotter le gaz russe au titre du renforcement des sanctions, depuis que la Russie a lancé l’invasion de l’Ukraine.
La hausse des prix du gaz, l’an dernier, était conjoncturelle
Au niveau mondial, la hausse des prix du gaz entamée l’an dernier -et qui se poursuit aujourd’hui- était plutôt « conjoncturelle », liée à une forte demande venue de Chine, a-t-il expliqué.
Car l’an dernier la situation était spéciale: la Chine, qui climatise l’été, n’a pas pu remplir ses barrages hydroélectriques à cause d’un problème météorologique, un manque de pluviosité. Et comme elle a décidé de ne plus importer de charbon australien, ses centrales thermiques au charbon ont moins produit d’électricité, c’est pourquoi elle a fait appel massivement au gaz.
Et tout le gaz naturel liquéfié américain, dont TotalEnergies est le premier opérateur, est parti en Chine. Du coup tous les prix ont flambé. En effet, sur le marché mondial, les prix suivent le principe de l’offre et de la demande, ce qu’a expliqué très simplement le dirigeant du géant pétrolier français:
«Moi je suis un être rationnel, j’envoie mon gaz où il est le mieux payé. Et s’il est payé 2 dollars de plus en Chine qu’en Europe, j’envoie mon gaz en Chine, et vice-versa. C’est comme ça que ça se passe. »
Déficit d’infrastructures industrielles
Avec l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, « là, par contre, la situation est plus inquiétante, parce que le gaz russe aujourd’hui c’est 40% du marché européen du gaz » , a-t-il dit.
Le patron de TotalEnergies, après la prise de parole des participants au Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG), a lui aussi expliqué les problématiques industrielles qui empêchent le ravitaillement rapide de l’Europe:
« Pour alimenter l’Europe en gaz, soit on a des tuyaux soit on a des terminaux de regazéification où on amène du gaz naturel liquéfié (GNL). Or ils sont tous pleins en ce moment, et on n’a pas assez de terminaux en Europe pour regazéifier le gaz liquéfié afin de remplacer les 40% de gaz russe, » a-t-il précisé.
Selon lui, « il faut 2 à 3 ans pour construire un terminal. La France en a, l’Allemagne n’en a aucun. Et donc, quand on me dit « comment vous faites si les 40% de gaz russe disparaissent », alors là je peux vous dire que je ne sais pas faire. Je saurai faire dans 2-3 ans si on construit des terminaux, car on a du gaz mais il faut pouvoir l’amener. On a là un problème d’infrastructure ».
Pour compléter le propos, il faut rappeler que, au-delà des nouvelles infrastructures physiques à construire au départ, dans le pays producteur, et à l’arrivée, dans le pays importateur, il reste le segment intermédiaire: le transport maritime… Or actuellement, le monde manque de navires méthaniers. Ce qui est un décalque de la situation de pénurie chronique dans le fret maritime qui bride depuis 2020 la reprise du commerce mondial: manque de navires porte-conteneurs, voire même de conteneurs…
L’aide des pays exportateurs de gaz restera limitée
Le 1er février dernier, le Qatar, en réponse à la demande pressante de Joe Biden d’aider l’Europe, avait expliqué qu’il ne pourrait pas compenser à lui tout seul un volume d’approvisionnement qui se compte en dizaines de milliards de mètres cubes de gaz. L’Allemagne par exemple, extrêmement dépendante de ce point de vue, a reçu de Gazprom quelque 50,2 milliards de mètres cubes en 2021 – Gazprom qui approvisionne aussi l’Italie, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, le Danemark, la Finlande et la Pologne…
Et cette semaine, mardi 22 février, alors que la Russie passait quasiment le Rubicon en ordonnant à ses troupes d’entrer dans les territoires séparatistes de l’Est de l’Ukraine, les pays exportateurs de gaz qui tenaient leur forum (le FPEG, sorte d’OPEP du gaz) à Doha, avaient confirmé qu’ils ne pourraient pas aider rapidement l’Europe en gaz au cas où elle se trouverait en rupture d’approvisionnement très prochainement.
Le Pdg de TotalEnergies a précisé sa pensée sur les deux scénarios de rupture d’approvisionnement. Sur la rupture à l’initiative des Russes, Patrick Pouyanné n’y croit tout simplement pas:
« Ceci étant, je ne pense pas que la volonté russe soit de couper le gaz. »
En revanche, il promet des difficultés si cette rupture d’approvisionnement est une volonté des Européens, mais l’obstacle se présentera plutôt à l’hiver 2022-23, et ce sera alors le retour au… « charbon allemand et polonais ».
Or c’est ce scénario qui semble se profiler, après la suspension du gazoduc Nord Stream 2 par l’Union européenne au titre des premières sanctions fortes contre la Russie et son invasion de l’Ukraine.
Scénario renforcé par la déclaration de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen qui a prévenu, dimanche, la Russie que l’UE était capable de se passer du gaz russe cet hiver en cas de décision de Moscou de réduire ou cesser ses livraisons.
L’impact de la guerre sur TotalEnergies ? «De 3% à 5%: on gèrera »
Quant à l’impact de cette situation de guerre sur l’activité de TotalEnergies, Patrick Pouyanné a rappelé le choix de son groupe de se déployer dans quelque 130 pays, ce qui implique donc d’assumer un certain nombre de risques géopolitiques.
La Russie, « c’est 3% à 5% des revenus de TotalEnergies. On gèrera », comme lorsqu’il a fallu par exemple gérer l’arrêt au Yémen, a-t-il assuré.
Pour rappel, la hausse des cours du pétrole et du gaz pourrait « menacer la croissance », en pénalisant à la fois le pouvoir d’achat des ménages européens et certains secteurs industriels, estimait avant hier, mardi 22 février, Emmanuel Cau, responsable de la stratégie actions en Europe au sein de la banque Barclays.
Par Jerôme Christiani